L’historien Lucas Catherine est connu en Belgique et aux Pays-Bas pour ses ouvrages — une trentaine jusqu’à présent — dénonçant le sionisme, l’islamophobie et le colonialisme. Certains de ses livres ont été traduits en français (p.ex. « Palestine, la dernière colonie ? ») et en arabe (p.ex. « L’islamophobie, mille ans de guerre contre l’Islam — Du massacre des musulmans en Andalousie au clash des civilisations »).
Il y a quelques mois, l’écrivain belge a proposé à un chercheur de l'Observatoire des Islamologues de France de collaborer avec lui afin de proposer au grand public un ouvrage consacré à l’histoire de la décolonisation territoriale des pays musulmans qui a eu lieu par la voie du Jihad armé et scientifique. « Jihad et Colonialisme » est un voyage à travers plusieurs siècles de résistance à l’agression militaire, culturelle et sociale dans le monde musulman, de l’Égypte à la Palestine, de Java à Zanzibar.
Pour la première fois en Belgique, un auteur reconnu permet à un musulman orthodoxe non seulement de s’exprimer et de partager sa vision des choses, mais aussi de présenter une réaction aux thèses erronées largement promues par les « islamologues » occidentaux.
« Jihad et Colonialisme » sera, incha Allah, en vente fin novembre 2015 en néerlandais (une traduction éventuelle en langue française sera envisageable si le livre se vend bien).
L’Observatoire des Islamologues de France vous offre un avant-goût de « Jihad et Colonialisme » avec la traduction d’un chapitre, suivie d’un résumé de cet ouvrage unique en son genre…
La Rédaction de l'Observatoire des Islamologues de France [1]
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[1] Disclaimer : cette présentation du livre a été écrite avant les attentats de Paris
Comment le Jihad fut combattu par les colons
— Jihad et Colonialisme —
A l’époque coloniale, l’ingérence militaire, politique et culturelle de l’Occident fut combattue par un Jihad armé et intellectuel. Des noyaux de résistance virent le jour en Indonésie, en Inde, en Égypte, en Palestine, en Algérie, au Maroc, en Irak, en Syrie, en Libye, au Soudan, au Caucase et ailleurs. Dans leur lutte contre l’occupant, les musulmans alternaient l’épée avec la plume pour mettre fin à l’agression coloniale, l’hypocrisie évangélique et la barbarie sioniste.
Le Jihad armé fut une forme de résistance effective et très redoutable contre l’occupation coloniale à laquelle les Britanniques ripostèrent en usant d’un stratagème ingénieux. Ils envoyèrent des délégations dans leurs colonies à la recherche de traitres prêts à vendre leur religion, âme et foi. Les agents sélectionnés étaient alors formés et préparés à devenir des dirigeants de sectes entièrement manipulables qui appellent la population locale à l’abolition du Jihad. En Iran, les colons anglais trouvèrent Mirza Housein ‘Ali (mieux connu sous le nom de Bahâ Allah) avec qui ils fondirent la secte d’al-Bahâ’iya. Mais comme Bahâ Allah n’arriva pas à contenir et dissimuler sa haine envers l’Islam, la secte aboutit très vite à un échec.
En Inde, les colonisateurs anglais connurent plus de succès. Ils y embauchèrent Ghulâm Ahmed al-Qadyâni (1835-1908) qui, sous supervision britannique, instaura la secte d’al-Qadyâniya [1]. L’occupant britannique soutint Ghulâm Ahmed et ses adeptes par des moyens financiers considérables. Des employeurs indiens qui devaient auparavant se contenter d’un salaire mensuel de cinq livres sterling touchaient maintenant chez Ghulâm une paye de plusieurs centaines de livres par mois. Le tout, bien entendu, grâce à la « baraka » de la colonisation.
Cet ouvrage du cheikh pakistanais Ihsân Ilâhi Dhahîr explique comment la secte d’al-Qadyâniya fut montée de toutes pièces par le colonisateur britannique. Cheikh Ihsân Ilâhi fut assassiné dans un attentat à la bombe en 1987 à Lahore avec 7 autres savants lors d’un séminaire religieux.
La secte Qadyanite fut sous emprise totale des autorités anglaises qui la contrôlèrent également de l’intérieur. De nombreux membres du gouvernement britannique furent membres de la secte, comme l’admit ouvertement Ghulâm al-Qadyâni:
« Mon organisation contient surtout des membres du gouvernement britannique qui occupent de hautes fonctions ainsi que des marchands en gros. Nous avons également de nombreuses personnes qui ont étudié l’anglais et des scientifiques qui ont fourni des services aux Britanniques. Pour résumer, mon mouvement consiste d’individus qui ont été formés par les autorités britanniques et dont elles sont satisfaites. Moi-même ainsi que les savants qui me suivent, nous avons clarifié au peuple la grande bienfaisance des Britanniques à notre égard et nous avons propagé cette reconnaissance dans les cœurs de milliers de personnes. » [2]
Plusieurs branches de la Qadyâniya surgirent dans les pays arabes et africains où ils opérèrent en tant que centres des services secrets britanniques. Avec la création d’une secte internationale dite islamique, les Britanniques parvinrent à infiltrer les mouvements de résistance avec un réseau d’espionnage efficace pour saboter le Jihad armé.
Les membres de la secte d’al-Qadyâniya furent tellement anglophiles que plusieurs centaines d’eux rejoignirent l’armée britannique. À chaque fois qu’un pays musulman tomba sous occupation coloniale, les Qadyanites exprimèrent leur joie en offrant un somptueux festin. Lors de la chute de l’Empire Ottoman, le journal officiel de la secte publia la déclaration suivante:
« Nous remercions Allah un million de fois pour cette victoire britannique. Il s’agit pour nous d’un évènement euphorique, car notre imam (Ghulâm al-Qadyâni) fit de nombreuses invocations pour que cette victoire ait un jour lieu. Ce grand triomphe nous a d’ailleurs offert une nouvelle opportunité d’inviter les gens à la croyance Qadyanite, ce qui fut jusqu’à présent impossible. Tout ceci est devenu possible grâce à l’expansion du Royaume Britannique. » [3]
Ghulâm Ahmed al-Qadyâni (1835-1908) fut un agent des colons britanniques qui se proclama prophète et messie afin d’abolir le Jihad armé contre l’occupation anglaise en Inde. Sa secte devint un réseau d’espionnage international par lequel les Britanniques infiltrèrent la résistance armée dans leurs colonies
D’autre part, Ghulâm al-Qadyâni ordonna aux musulmans de jurer loyauté envers les colons britanniques qui furent, selon lui, les « califes bien guidés sur terre ». Très vite, des fatwas furent émises par les savants musulmans autorisant l’assassinat de Ghulâm. Mais comme ce dernier fut tellement bien protégé par le colon anglais, cela n’a jamais eu lieu.
Après avoir rallié un grand nombre de partisans, Ghulâm al-Qadyâni se déclara prophète et prétendit recevoir des révélations du ciel. Voici une des premières « inspirations divines » de Ghulâm:
« À partir d’aujourd’hui le commandement divin du Jihad armé est aboli. Celui qui, à partir de maintenant, prend encore les armes et se nomme guerrier vivra en contradiction avec le Messager d’Allah. En effet, le Prophète avait annoncé l’abolition du Jihad avec la venue du Messie attendu [4], et le Messie c’est moi ! Voilà pourquoi il n’y a plus de Jihad armé. » [5]
En ignorant que Ghulâm fut un pantin manipulé, on aurait pu penser qu’il s’agisse d’un don tombé du ciel pour les Britanniques. Dans un autre discours, le gourou de la Qadyâniya déclara le Jihad comme étant une croyance impure:
« L’organisation Qadyanite ne cessera de se battre, jour et nuit, pour extraire et éradiquer cette croyance impure, la croyance du Jihad, des cœurs des musulmans. » [6]
Le prêche anti-Jihad de Ghulâm fut largement propagé par les Britanniques dans leurs différentes colonies. En tout, Ghulâm al-Qadyâni avait appelé les musulmans durant 22 ans à abandonner le Jihad contre l’occupant anglais. « Et quel pire injuste que celui qui fabrique un mensonge contre Allah ou qui dit : "Révélation m'a été faite", quand rien ne lui a été révélé. » (al-An’âm, 6)
Aboubacar Sy, fils et successeur de Malik Sy, se nomma « fils des Français » et référa fallacieusement à des versets coraniques pour interdire la résistance anticoloniale. L’occupant français décora Aboubacar Sy avec la cravate de Commandeur de la Légion d’honneur.
De façon similaire, les Français menèrent une campagne contre le Jihad armé dans l’espoir de maintenir leurs colonies. Au Sénégal, ils sélectionnèrent méticuleusement des porte-paroles de la secte Tijanite qu’ils financèrent et décorèrent pour étouffer toute forme de résistance armée. En 1914, le dirigeant de la Tijaniya al-Hadj Malick Sy (1855-1922) déclara que la résistance contre l’occupation française était une désobéissance à la volonté de Dieu:
« N’écoutez pas ceux qui vous demandent de vous opposer à la France, car seuls vos pires ennemis oseraient vous demander cela… Prenez garde de vous opposer au gouvernement français, ne serait-ce que dans la plus petite des affaires… Obéissez et soumettez-vous à la volonté de Dieu, qu’il soit exalté, car Dieu punit Ses créatures pour leurs péchés et leur injustice. » [7]
Aboubacar Sy, fils et successeur de Malik Sy, manipulait des versets coraniques pour justifier son appel à une fidélité esclavagiste à l’homme blanc :
« Faites confiance aux Français, comme ils vous font confiance. ‘La rémunération du bienfait est-elle autre que le bienfait ? ’ [8] Nous n’avons pas le droit de nous révolter contre les conseils de l’administration (française), car nous lui devons tout… Il est dit dans le Coran que celui qui se révolte contre un bon maître ira en enfer. Nous sommes fils de Français et nous resterons Français… » [9]
Et Français ils sont bel et bien restés…
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[1] En Afrique et en Occident, la secte est mieux connue sous le nom d’al-Ahmadiya
[2] Ghulâm al-Qadyâni lors d’un discours devant le gouverneur provincial britannique de Panjab, Tabligha Risâlât, vol.7, p.18
[3] Jarîda al-Fadl, 22 novembre 1918.
[4] Il s’agit, bien entendu, d’un mensonge éhonté.
[5] Ihsân Ilâhi Dhahîr, « Al-Qadyâniya, Dirâsât wa Tahlîl », p.118.
[6] Ibid., p.119.
[7] David Robinson, « Le temps des marabouts. Itinéraires et stratégies islamiques en Afrique- Occidentale Française v. 1880-1960 », p.195.
[8] Surate al-Rahmân, 60
[9] Fabienne Samsom, « Les marabouts de l’Islam politique. Le Dahiratoul Moustarchidina Wal Moustarchidaty, un mouvement néoconfrérique sénégalais », p.183.
-Extrait du livre « Jihad en Kolonialisme », Lucas Catherine & Kareem El Hidjaazi - EPO, Berchem-Antwerpen, ISBN: 9789462670518 • 2015 • paperback (15 x 22,5 cm) - 224p.
-Traduction du néerlandais au français:
http://islamologues-de-france.com/
Jihad et Colonialisme
— Résumé —
Voici, en grandes lignes, les sujets traités dans « Jihad et Colonialisme » :
— Initialement, le prétexte fourni pour justifier la colonisation fut celui d’une volonté de christianiser les musulmans (Christophe Colomb aux Caraïbes), mais à travers les siècles cette volonté « évolue » et se transforme en désir de « civiliser » les musulmans (« Mission Civilisatrice » de Napoléon en Egypte).
— Dans les colonies françaises, la résistance anticoloniale fut réprimée avec une brutalité inouïe. La cruauté de la répression laïque à l'encontre des combattants musulmans pour la liberté atteint son apogée lors de l’abominable torture de Suleyman al-Halabi, courageux combattant anticolonial.
— La colonisation hollandaise à Java et Sumatra débuta en 1596 et fut combattue deux siècles plus tard avec un Jihad prononcé par le Prince Pangeran Abdul Hamid Diponegoro en 1825. L’islamologue hollandais Christiaan Snouck Hurgronje joua un rôle important dans la répression du Jihad anticolonial et ne cessa de diaboliser ce qu’il nomma « l’Islam politique » (rien n’a véritablement changé…).
— La colonisation en Afrique orientale et centrale (de Zanzibar à Kisangani) prit fin grâce aux combats anticoloniaux qui eurent lieu en Éthiopie, en Somalie, etc. Même le Congo connut une résistance musulmane à l’occupation coloniale, plus connue sous le Jihad de Maniema (1892-1894).
— La guerre contre l’Islam devint la nouvelle tâche des missionnaires qui assistèrent les militaires au Congo. Les forces coloniales européennes combattirent l’alphabet arabe en Afrique orientale et occidentale où les musulmans africains utilisèrent une version adaptée de l’alphabet arabe. En Turquie, l’alphabet arabe fut remplacé par l’alphabet latin sous le régime laïciste d’Atatürk.
— En Afrique occidentale, le Sheikh Usman Ibn Fodio [1] (né au Nigeria en 1754) dirigea le plus grand Jihad armé contre la pénétration chrétienne. Il combina son combat avec un Jihad intellectuel en éduquant son peuple. Il écrivit plus d’une centaine d’ouvrages sur la religion, la culture et l’histoire. Au Nigéria, il fonda de nombreuses écoles ainsi qu’une université. En 1809 il devint, en tant qu’Amîr al-Mu’minîn le dirigeant d’un des plus grands états islamiques que l’Afrique ait jamais connu ; le khalifat de Sokoto.
— De nombreux Palestiniens se sont rebellés contre l’occupation coloniale britannique dans plusieurs contrées de la Palestine. Un Jihad de la plume fut mené par le poète palestinien Fuâd El Hidjaazi (héros national condamné à mort par les colons anglais en juin 1930).
— L’état que l’Occident nomme aujourd’hui « Israël » est non seulement issu du colonialisme (Balfour, la famille Rothschild) mais est aussi une colonie qui, depuis sa création, n’a cessé de coloniser (réalités et histoire du sionisme).
— L’islamophobie et le racisme représentent le vrai visage du colonialisme qui fit naitre en Occident les théories racistes et, plus récemment, les lois islamophobes. Le colonialisme n’a jamais cessé, il a seulement changé de forme et opère aujourd’hui comme une multinationale institutionnalisée par le biais d’organisations internationales.
— L’identité musulmane a toujours été combattue par les colons qui ont commencé l’acculturation du monde musulman en Égypte (début de l’acculturation et ses effets sur l’identité musulmane). Aujourd’hui, avec la propagation de la démocratie en terre d’Islam, les « civilisateurs » cherchent à « illuminer » les musulmans politiquement avec une nouvelle « mission civilisatrice ».
— L’Occident a toujours voulu soumettre la communauté musulmane à ses valeurs, lois et droits « universels ». Bien que plusieurs dictatures arabes aient contribué à l’acculturation humiliante du monde musulman, les peuples musulmans portent eux aussi une responsabilité due au délaissement de leur pratique et de l'enseignement islamique. Comme le disait un certain Malek B. : « Si nous avons été́ colonisés, c’est que nous étions colonisables. »
— Explication de ce que veulent dire la Charia et le Jihad (conditions, etc.). Dans sa lutte anticoloniale, Sheikh Adbul Hamîd Bin Badîs clarifia la position de la législation islamique en affirmant que la Charia est éternelle, non modifiable et qu’elle ne peut être limitée par une civilisation quelconque.
— Lors de l’occupation des terres musulmanes, les colons abolirent l’enseignement islamique traditionnel, la Charia et le Jihad (clarification historique). Dans plusieurs pays musulmans, cette abolition a été maintenue avec le soutien inconditionnel des Occidentaux aux dictateurs laïcs.
— L’unité islamique idéologique fut brisée par les colons en nationalisant l’Islam. Les autorités coloniales divisèrent les musulmans en créant l’Islam de l’Inde, l’Islam de la Turquie, l’Islam des Arabes, etc. Il s’agit d’un procédé néocolonial qui est toujours en vigueur dans la République de « liberté́, égalité́ et fraternité ». En 2015, « l’Islam de France » sert à imposer un « islam laïc » pour 1) diviser les musulmans français et 2) pour les séparer des autres musulmans du monde.
— Trois accords coloniaux (Sykes-Picot 1916, Balfour 1918 et Lausanne 1923) ont permis à l’Occident de poursuivre une politique néocoloniale dans le monde musulman et d’y imposer « démocratie dictatoriale », sécularisation et acculturation.
— Plusieurs hadiths prophétiques interdisent explicitement les actes terroristes que perpétuent les groupuscules extrémistes. Le massacre d’innocents ne peut donc être considéré comme étant un Jihad. Le terrorisme est d’ailleurs contreproductif du fait qu’il renforce les dictateurs dans leur refoulement de l’enseignement du Tawhîd, élément vital pour sortir la Oumma de son ignorance et son humiliation.
— En Occident, plusieurs « experts » autoproclamés de l’Islam considèrent la pratique religieuse des musulmans non acculturés comme un signe de radicalisation et servent d’alibis aux politiciens pour instaurer une islamophobie d’état (Dounia Bouzar en France, Bilal Benyaich en Belgique,…).
— La « dé-radicalisation » de jeunes musulmans tellement convoitée par les gouvernements occidentaux ne peut se faire par une laïcisation des communautés musulmanes d’Europe. Bien au contraire, une réelle dé-radicalisation est uniquement réalisable par l’enseignement islamique et par la décolonisation politique, culturelle et économique du monde musulman…
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[1] Dans son ouvrage « al-Islâm fi Ifrîqiya ‘abr al-Târîgh », Sheikh Mohammed Amân al-Jâmi décrit Usman Ibn Fodio comme « le dirigeant mujâhid et savant salafi ».
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