Le dernier verset abordé par Michel Onfray dans sa campagne laïciste est « Et tuez-les, où que vous les rencontriez ». Il s’agit d’un verset qui apparait dans quatre sourates différentes. Onfray refuse, comme on l’a maintenant bien compris, de mettre les choses en perspective et de mentionner ce qui précède et suit le verset. Voici d’abord le verset qui le précède dans la sourate ‘La Vache’ :
« Combattez dans le sentier d’Allah ceux qui vous combattent, et ne transgressez pas. Certes. Allah n’aime pas les transgresseurs! » [2/190]
Le verset d’après, lu dans sa totalité, offre une explication de l’état des faits :
« Et tuez-les, où que vous les rencontriez ; et chassez-les d’où ils vous ont chassés : l’association est plus grave que le meurtre. Mais ne les combattez pas près de la Mosquée sacrée avant qu’ils ne vous y aient combattus. S’ils vous y combattent, tuez-les donc. Telle est la rétribution des mécréants. » [2/191]
En isolant le verset de son contexte, on peut faire croire aux personnes non instruites qu’il s’agit d’un appel au carnage. Or, le lecteur qui maitrise des notions de base de l’histoire islamique connaîtra bien entendu la période qui est traitée dans ce passage.
Après que le Prophète (‘aleyhi assalam) et ses compagnons furent persécutés à la Mecque par les polythéistes, ils émigrèrent à Médine [1] pour pouvoir pratiquer librement leur religion.[2]
Avant leur émigration (Hijra) de la Mecque, les musulmans furent ordonnés de patienter, de s’abstenir et de ne pas s’engager dans un combat avec l’ennemi. Mais à Médine les choses changèrent. Ayant obtenu suffisamment de force pour pouvoir repousser les agressions polythéistes, Allah leur accorda la permission de se défendre, comme dans les sourates ‘Le Pèlerinage’ [3] et ‘La Vache’ qui appellent les musulmans à combattre « ceux qui vous combattent », c.-à-d. les hommes polythéistes qui cherchent à les tuer. Sinon, les Hadiths mentionnent clairement que les non-combattants, femmes et enfants ne sont pas concernés par les passages qui traitent du combat.
Le verset se poursuit avec l’interdiction de la transgression (« et ne transgressez pas »). Les exégètes sont unanimes à dire que cette proscription comprend toutes les formes de transgressions, peu importe qui subit la transgression : ceux qui combattent, ceux qui ne combattent pas, les femmes, les faibles d’esprit, les enfants, les prêtres, etc. [4] Il s’agit ici, non pas d’une interprétation divergente ou républicaine de textes vagues, mais de jugements et principes fondamentaux tirés directement de la tradition prophétique [5], celle que notre philosophe aurait étudiée…
En quittant la France pour pratiquer librement leur religion ailleurs, de nombreux musulmans français suivent l’exemple du Prophète qui émigra pour fuir la persécution des mécréants de Qoreych.
Reprenons le verset dont s’est servi Onfray pour soutenir sa thèse qui veut que les textes apparents du Coran incitent au meurtre. Mis en contexte, le verset « Et tuez-les, où que vous les rencontriez » n’incite nullement les musulmans à massacrer les non-musulmans dans l’espace public, mais aborde un des aspects de la guerre où l’on est confronté à un ennemi qui cherche à vous tuer. Voilà pourquoi il n’y a jamais eu d’érudit musulman qui a expliqué ce type de versets comme une permission de pourchasser et tuer d’innocents non-musulmans.
Le verset « Et tuez-les, où que vous les rencontriez » est encore présent à deux reprises dans la sourate ‘Les Femmes’. En lisant le passage qui précède ces versets, le contexte se façonne de manière évidente :
« Qu’avez-vous à vous diviser en deux factions au sujet des hypocrites ? Alors qu’Allah les a refoulés (dans leur infidélité) pour ce qu’ils ont acquis. Voulez-vous guider ceux qu’Allah égare ? Et quiconque Allah égare, tu ne lui trouveras pas de chemin (pour le ramener). » [4/88]
Dans ce passage, Allah traite du cas des hypocrites au temps du Prophète (‘aleyhi assalam). En arabe, ce type d’individus est connu sous le nom de « al-Munâfiqûn ». Il s’agit de mécréants qui se font passer pour des musulmans afin de mieux pouvoir combattre l’Islam [6].
Le verset susmentionné fut révélé à l’époque où les hypocrites, qui se mélangeaient aux compagnons du Prophète (‘aleyhi assalam), refusaient d’émigrer vers Médine. Ce refus engendra un doute et une méfiance de certains compagnons qui s’abstenaient à les déclarer hypocrites du fait que ces derniers faisaient apparaitre la foi. C’est alors que descendit ce verset qui informa les compagnons qu’il ne fallait pas douter de leur mécréance et que leur cas était clair. Cette certitude (quant à leur mécréance) pouvait être maintenue jusqu’à ce qu’ils quittaient la Mecque avec les musulmans. Une fois qu’ils émigraient, ils furent à nouveau considérés comme musulmans. À Médine, le Prophète (‘aleyhi assalam) considérait toute personne qui émigrait vers lui comme un croyant, peu importe s’il s’agissait d’un vrai croyant ou d’un mécréant qui prétendit être musulman. C’est ce qui est expliqué dans la suite du verset :
« Ne prenez donc pas d’alliés parmi eux, jusqu’à ce qu’ils émigrent dans le sentier d’Allah. Mais s’ils tournent le dos, saisissez-les alors, et tuez-les où que vous les trouviez ; et ne prenez parmi eux ni allié ni secoureur, » [4/89]
Les hypocrites ne pouvaient donc pas être pris comme alliés, car ils constituaient, en tant qu’ennemi intérieur, la plus grande menace pour les musulmans. Voilà pourquoi le verset mentionne que s’ils tournent le dos (c.-à-d. s’ils se détournent de la Hijra), les musulmans ont ordre de les tuer, à l’exception de certains hypocrites mentionnés dans le verset suivant :
«…excepté ceux qui se joignent à un groupe avec lequel vous avez conclu une alliance, ou ceux qui viennent chez vous, le cœur serré d’avoir à vous combattre ou à combattre leur propre tribu. » [4/90]
À Médine, Le Prophète considérait toute personne qui émigrait vers lui comme un croyant, peu importe s’il s’agissait d’un vrai musulman ou d’un hypocrite.
Une fois de plus, les versets ne parlent pas d’une situation ou d’un contexte où les musulmans et les non-musulmans vivent ensemble sous un pacte ou un accord de paix. Le Créateur parle clairement du sujet des hypocrites dans une situation de guerre.
On découvre dans ce verset qu’il y a deux catégories d’hypocrites qui, étant des exceptions, ne peuvent être combattus : ceux qui ont un accord de paix (« excepté ceux qui se joignent à un groupe avec lequel vous avez conclu une alliance ») et ceux qui refusent de combattre aussi bien les musulmans que les polythéistes de leur propre tribu qui est hostile aux croyants (« ou ceux qui viennent chez vous, le cœur serré d’avoir à vous combattre ou à combattre leur propre tribu »). Le Coran ordonne donc de laisser tranquilles les hypocrites qui ont décidé de ne pas s’impliquer dans les combats contre les musulmans. La sagesse de cet ordre divin devient claire dans la suite du verset :
« Si Allah avait voulu, Il leur aurait donné l’audace (et la force) contre vous, et ils vous auraient certainement combattus. (Par conséquent,) s’ils restent neutres à votre égard et ne vous combattent point, et qu’ils vous offrent la paix, alors, Allah ne vous donne pas de chemin contre eux. » [4/90]
L’ordre de laisser tranquilles les polythéistes qui ne sont pas impliqués dans les combats est donc répété une deuxième fois, tout en expliquant le bien-fondé de cette injonction ; en laissant tranquilles les hypocrites qui refusent de s’impliquer dans la guerre, on écarte la possibilité qu’ils se joignent aux rangs ennemis. En même temps, cela arrangeait les hypocrites qui profitaient de cette façon d’une situation de sécurité au sein de la communauté musulmane et cela, malgré le fait que leur propre tribu combatte les croyants. Si l’Islam ordonne de laisser tranquilles ces non-musulmans (non-combattants) en état de guerre, que dire alors des non-musulmans en état de paix ? Ceux-là, à fortiori, doivent être laissés tranquilles. Mais à nouveau, ce n’est pas ce que veut entendre Michel Onfray qui amalgame de manière très fluide fiction et textes religieux.
Le troisième endroit où l’on retrouve le passage « tuez-les, où que vous les rencontriez » est dans le verset 91 de la même sourate (‘Les Femmes’). Dans ce verset, qui suit la description des deux types d’hypocrites à laisser tranquilles, Allah parle d’un troisième type d’hypocrites qui, par crainte des musulmans, cherchent à gagner leur confiance pour mieux pouvoir les combattre. Ils se distinguent par leur volonté de trahison de la deuxième catégorie d’hypocrites qui eux refusent de combattre les musulmans — non par crainte —, mais par respect envers eux. Les hypocrites de la troisième catégorie n’éprouvent aucun respect pour les musulmans. Dès que l’opportunité se présente de tuer ou de combattre les croyants, ils n’hésiteront pas à passer à l’acte. Leur cas est clarifié dans le verset 91 :
« Vous en trouverez d’autres qui cherchent à avoir votre confiance, et en même temps la confiance de leur propre tribu. Toutes les fois qu’on les pousse vers l’Association, (l’idolâtrie) ils y retombent en masse. (Par conséquent,) s’ils ne restent pas neutres à votre égard, ne vous offrent pas la paix et ne retiennent pas leurs mains (de vous combattre), alors saisissez-les et tuez-les où que vous les trouviez. Contre ceux-ci, Nous vous avons donné autorité manifeste. » [4/91]
Il n’y pas la moindre ambiguïté ; les versets qui ordonnent les musulmans de tuer les hypocrites là où ils les trouvent traitent d’une situation de guerre dans laquelle deux armées s’opposent. L’ordre de tuer les hypocrites n’est pas général, car les versets mentionnent explicitement que la seule catégorie d’hypocrites concernée est celle qui combat activement les musulmans. Ce n’est pas une interprétation, mais le sens apparent et littéraliste des versets coraniques.
Selon la compréhension littéraliste du Coran, les non-musulmans qui ne participent pas au combat lors d’une guerre ne peuvent être tués.
La quatrième et dernière partie du Coran où l’on retrouve le verset « tuez-les là où vous les trouviez » est dans la sourate ‘Le Repentir’ qui commence par le désaveu d’Allah et de Son Prophète (‘aleyhi assalam) envers les polythéistes avec qui les musulmans avaient conclu une trêve. Un délai de quatre mois leur fut accordé durant lequel ils étaient libres de circuler là où ils le souhaitaient en toute sécurité. Nous sommes à nouveau dans un contexte d’hostilité et de guerre dans lequel une trêve de quatre mois fut conclue. Le début de la sourate invite ces polythéistes à embrasser l’Islam :
« Et proclamation aux gens, de la part d’Allah et de Son messager, au jour du Grand Pèlerinage, qu’Allah et Son Messager, désavouent les associateurs. Si vous vous repentez, ce sera mieux pour vous. Mais si vous vous détournez, sachez que vous ne réduirez pas Allah à l’impuissance. Et annonce un châtiment douloureux à ceux qui ne croient pas. » [9/3]
Ce verset contient une promesse de victoire aux croyants de la part de leur Seigneur qui annonce à la fois la défaite de l’ennemi polythéiste qui a expulsé le Prophète (‘aleyhi assalam) et ses compagnons de la Maison Sacrée. Cette promesse divine fut concrétisée, car Allah secourut le Messager jusqu’au jour de la conquête de la Mecque.
Après avoir annoncé un châtiment douloureux aux polythéistes qui refusent de croire, Allah fait une exception dans le verset qui suit pour les inciter à revenir :
« À l’exception des associateurs avec lesquels vous avez conclu un pacte, puis ils ne vous ont manqué en rien, et n’ont soutenu personne [à lutter] contre vous : respectez pleinement le pacte conclu avec eux jusqu’au terme convenu. Allah aime les pieux. » [9/4]
En effet, l’Islam interdit la traitrise et ordonne le respect des accords et des pactes conclus avec l’ennemi. Le Prophète (‘aleyhi assalam) a dit : « Combattez, mais ne détournez pas les butins, ne trahissez pas [7], ne mutilez pas et ne tuez aucun enfant. » [8]
Ce verset fait donc référence au pacte de quatre mois scellé avec les polythéistes et par lequel les musulmans furent interdits de combat. Une fois les quatre mois révolus, la guerre reprend et les musulmans ont alors pour ordre de combattre de combattre les polythéistes :
« Après que les mois sacrés expirent, tuez les associateurs où que vous les trouviez. Capturez-les, assiégez-les et guettez-les dans toute embuscade. Si ensuite ils se repentent, accomplissent la Salat et acquittent la Zakat, alors laissez-leur la voie libre, car Allah est Pardonneur et Miséricordieux. » [9/5]
Ce jugement, comme le démontre explicitement le verset, s’applique à ceux avec qui un pacte de quatre mois (ou moins) a été conclu. Or, si le pacte est d’une durée supérieure à 4 mois ou d’une durée indéfinie, alors il faut respecter ce pacte jusqu’au bout à condition qu’on ne craigne pas de la partie adverse une trahison et à condition qu’elle ne rompe pas elle-même le pacte. Notez que l’ordre de les tuer « là où ils les trouvent » est suivi de l’ordre de les capturer. C.-à-d. si les musulmans dominent le combat, ils peuvent les prendre en tant que prisonniers. Si ensuite, les polythéistes se repentent, se mettent à prier et font l’aumône, ils doivent être libérés. Pourquoi ? Le passage l’indique clairement : « Car Allah est Pardonneur et Miséricordieux ».
Le verset d’après ne fait que confirmer que l’Islam est une religion de clémence et d’indulgence : « Et si l’un des associateurs te demande asile, accorde-le-lui, afin qu’il entende la parole d’Allah, puis fais-le parvenir à son lieu de sécurité. Car ce sont des gens qui ne savent pas. » [9/6]
Si un combattant parmi les polythéistes demande asile à un musulman pour entendre la parole d’Allah (c.-à-d. le Coran), alors le musulman doit lui prêter asile et il lui est interdit de le tuer. S’il accepte la vérité, il devient musulman, sinon il doit être ramené en lieu sûr.
Où sont donc toute la barbarie et la cruauté de l’Islam que Michel Onfray ne cesse d’évoquer sur les plateaux télévisés ? Le Coran ordonne clairement que s’il y a un intérêt dans le fait de rapprocher les polythéistes de la religion musulmane, il faut leur prêter asile, même s’il s’agit de combattants. Or, pour Onfray, l’Islam est une religion qui ordonne aux musulmans d’égorger les non-musulmans là où ils les trouvent…
Extrait de “L’Islam, Le Coran et Michel Onfray”, à télécharger ici
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[1] Là, ils furent accueillis et aidés par les Ansâr qui leur offrirent tout ce dont ils avaient besoin.
[2] Un peu comme aujourd’hui de nombreux musulmans français quittent la France pour fuir la persécution laïciste et vivre librement leur religion dans des pays qui garantissent la liberté de culte.
[3] « Autorisation est donnée à ceux qui sont attaqués (de se défendre) — parce que vraiment ils sont lésés ; et Allah est certes Capable de les secourir — ceux qui ont été expulsés de leurs demeures, — contre toute justice, simplement parce qu’ils disaient : ‘Allah est notre Seigneur’ ». [22/39-40]
[4] « Al-Muwatta », Vol. 21, 9-10
[5] Comme encore l’interdiction de mutiler les cadavres des ennemis, de tuer des animaux, de couper des arbres, etc.
[6] Ce type de personnes existe jusqu’à nos jours et est actuellement très en vogue auprès des autorités françaises qui les exploitent dans leur politique de l’acculturation des musulmans. Le rôle de ces hypocrites est de calomnier, stigmatiser et diaboliser les musulmans non assimilés à la culture et aux « valeurs » républicaines. Sous couvert d’une prétendue égalité, ils mettent tout en œuvre pour que les musulmans se convertissent, tout comme eux, à la laïcité. C’est d’ailleurs une des caractéristiques types des hypocrites mentionnées dans le verset suivant : « Ils aimeraient vous voir mécréants, comme ils ont mécru : alors vous seriez tous égaux! » [4/89]
[7] Cette interdiction de trahison fut mentionnée spécifiquement en temps de guerre. Que dire en tant de paix ?
[8] Sahîh Muslim (4522)