Un an après le partage du monde arabe signé en 1916 lors des accords de Sykes-Picot [1], les Anglais invitent les sionistes au diner colonial. Le 2 novembre 1917, le ministre britannique Arthur Balfour commet une des escroqueries les plus grotesques du XXe siècle. Dans une déclaration portant son nom, il promet que la grande Bretagne assistera les sionistes dans la création d’un foyer national juif en Palestine. La promesse du « Grand état Arabe » indépendant faite par les Anglais aux Arabes en 1915 semble entretemps être oubliée.
La Déclaration de Balfour peut être considérée comme une escroquerie internationale pour plusieurs raisons. En 1917, année où le contrat fut signé, la Palestine ne contenait que 7% de juifs [2]. Or, ce n’est qu’en 1922, que la Grande-Bretagne obtiendra officiellement son mandat de la Ligue des Nations [3] sous le prétexte fallacieux de « préparer la population locale à l’indépendance ».
Concrètement, cela signifie que les Britanniques n’ont commencé à diriger la Palestine, de manière officielle, que cinq ans après que Balfour offrit en cadeau le pays aux sionistes. La question se pose souvent en Palestine ; de quel droit la Grande-Bretagne a-t-elle pu promettre et octroyer un pays, qui ne lui appartenait pas et sur lequel elle n’avait aucune autorité légale [4], à une petite minorité de juifs en Palestine ?
En Occident, la Déclaration de Balfour sert de motif pour justifier la légitimité de l’État juif. Les experts du Moyen-Orient ne cessent de rappeler que les Britanniques ont offert la Palestine suivant une promesse solennelle faite au peuple juif en 1917. Mais cette promesse, en quoi rend elle légitime la création d’un état par un peuple étranger sur la terre d’un peuple indigène ? Les Français, accepteraient-ils qu’une nation arabe fasse une donation de la moitié de leur pays aux Kurdes parce que ces derniers se sont fait persécuter sur un autre continent ? Si leur réponse est non, qu’ils se posent alors la question de quel droit la communauté internationale exige des Palestiniens d’accepter le « don généreux » de leurs terres par des Anglais à un peuple avec lequel ils n’ont rien à voir.
Au-delà de cette tromperie Anglaise, il est important pour le musulman de cerner les causes de la tragédie palestinienne et de reconnaitre que c’est avant tout la condition affligeante de leur Oumma qui a rendu possible ce scenario cauchemardesque.
En novembre 1917, le ministre britannique Arthur Balfour commet une des escroqueries les plus grotesques du XXe siècle
Jusqu’à ce jour, le monde musulman n’a jamais réellement pris conscience de l’humiliation subie à l’époque coloniale. Cette inculture est avant tout due au manque de connaissances de la croyance et de l’histoire islamique, deux éléments indispensables pour tout peuple musulman qui désire un jour retrouver la puissance, la gloire et l’honneur avec lequel brillait, dans un passé pas si lointain, la Oumma.
Pour comprendre les causes des défaites musulmanes aux mains des colons impérialistes, il nous faut analyser la seconde partie du hadith dans lequel le Prophète (‘Aleyhi al-Salâm) prédit les conquêtes des puissances mondiales et leur partage du monde musulman :
« Les nations (ennemies) d’horizons divers ne tarderont pas à s’inviter chez vous comme on invite les gens à manger autour d’un diner. » Touché par cette parole, un des compagnons demanda : « Serait-ce dû au fait que ce jour-là nous serions peu nombreux ? » Le Messager répondit : « Au contraire, (ce jour-là) vous serez très nombreux, mais vous serez à l’image de l’écume des flots ; Allah retirera des cœurs de vos ennemis la peur qu’ils éprouvent envers vous et Il placera dans vos cœurs la faiblesse. » Un compagnon demanda : « Ô Messager, quelle est cette faiblesse ? » Il dit : « L’amour de ce bas monde et la répulsion pour la mort » [5].
Bien que cette description des musulmans fût pratiquement inconcevable à l’époque du Prophète (‘Aleyhi al-Salâm), il s’agit bel et bien d’un récit détaillé de la communauté musulmane d’aujourd’hui qui se trouve dans une situation lamentable comme elle ne l’a jamais été auparavant.
Le Messager (‘Aleyhi al-Salâm) avait prédit que les musulmans seraient nombreux lors de la conquête de leurs terres, mais que ce grand nombre ne leur serait d’aucune utilité. Le peuple juif - qui à l’époque ne dépassait pas les quinze millions - réussit à instaurer un état colonial au sein du monde arabe sur une terre appartenant aux musulmans qui eux, étaient plus d’un milliard.
La création de l’état sioniste tout comme les invasions néo coloniales contemporaines des troupes américaines dans les pays musulmans démontrent la véracité de ce hadith prophétique; le grand nombre des membres de cette Oumma n’aura aucun poids tant qu’ils abolissent la manifestation de leur religion et refusent de mettre en pratique ses obligations [6]. Depuis plusieurs siècles maintenant, les musulmans sont à l’image de l’écume des flots qui, vide de courage, se fait porter par les vagues [7]. Peu importe la direction que prennent ces vagues, l’écume les suivra toujours. Souvent illettrés et incultes lorsqu’il s’agit des sciences islamiques, les masses musulmanes suivent aveuglement l’Occident tout en négligeant les préceptes, les principes et surtout l’étude de leur religion [8].
Le partage du monde arabe signé lors des accords de Sykes-Picot en 1916 semble avoir été prédit 13 siècles auparavant par le Prophète Mohammed (‘Aleyhi al-Salâm)
L’histoire a prouvé que c’est ce type de négligences qui - jusqu’à ce jour d’ailleurs - permet aux ennemis impérialistes d’envahir les pays musulmans. C’est ce même éloignement de l’Islam qui a permis aux Occidentaux d’imposer un grand nombre de dictateurs laïcs dans le monde musulman qui maitrisent mieux la constitution française que les jugements du Coran. C’est cette négligence de l’Islam par de nombreux gouverneurs et gouvernés musulmans, qui a fait d’eux une proie facile pour leurs ennemis. Les Arabes ne cessent de commémorer la Nakba palestinienne, mais ne conçoivent pas la Nakba de la communauté musulmane, une catastrophe majeure et répandue bien au-delà du Moyen-Orient que la plupart des musulmans sont incapables de percevoir dû à leur propre vacuité religieuse et intellectuelle.
Pour comprendre la place que prend l’Islam chez un peuple à une époque quelconque, il ne faut pas regarder l’affluence devant les portes des mosquées ni écouter le chahut qui résonne lors du pèlerinage. Non, pour comprendre la force d’un peuple musulman, il faut observer l’union que forment ses citoyens contre les ennemis de la sharia [9].
Cette unité contre les ennemis de la législation islamique fut presque inexistante à l’époque de Balfour [10]. Certes, les Palestiniens se sont opposés au Mandat britannique et à la colonisation sioniste, mais il s’agissait d’une opposition stérile et peu structurée dans laquelle les Ottomans n’ont pas suffisamment secouru leurs frères palestiniens.
En 1910, le gouverneur de Nazareth adressa une plainte aux autorités turques dans laquelle il mentionne que « les sionistes ont leur propre étendard et trompent l’administration turque quant à leurs véritables intentions ». Les tentatives de fonder des journaux anti sionistes [11] n’aboutissent à rien dû au fait que l’Empire Ottoman, noyé dans des croyances soufistes [12] et laïcistes [13], ne défendait plus que ses propres intérêts.
Les Arabes ne cessent de commémorer la Nakba palestinienne, mais ne conçoivent pas la Nakba de la communauté musulmane.
La révolte palestinienne contre l’escroquerie britannique ne fut que très peu basée sur des principes islamiques, mais plutôt sur du nationalisme arabe. En 1918, les Palestiniens fondèrent à Jérusalem l’« Union des Associations Islamo-Chrétiennes » qui lança un appel à la « Conférence de Paix » qui avait lieu à Paris pour répartir le monde après la Première Guerre mondiale :
« L’ensemble des habitants de la Palestine, qu’ils se trouvent à Jérusalem, Naplouse ou Akka, musulmans et chrétiens, se sont réunis dans une assemblée pour choisir leurs représentants… Nous avons décidé de faire une protestation urgente contre le projet d’offrir notre patrie comme foyer national juif aux sionistes en leur permettant de coloniser notre terre. Nous nous opposons fermement à cette décision qui fut prise sans notre savoir et consentement. » [14]
À nouveau, la naïveté arabe doublée d’une absence du désaveu musulman envers l’ennemi (al-Barâ’a) empêchent les Palestiniens de voir clair dans les ruses anglaises. Dans une tentative désespérée de faire entendre leur voix, ils vont jusqu’à calquer les modes d’administration occidentale et mettre de côté les voies légiférées que leur offrait l’Islam. « Quiconque veut la puissance (glorieuse), qu’il la cherche auprès d’Allah [15], car la puissance tout entière est à Allah. » (Fâtir 10)
Toutes ces démarches concessionnaires n’ont fait que d’inspirer le dédain chez les Britanniques. Lors du démantèlement de l’Empire ottoman, les colons ne ressentaient plus aucune crainte pour ces musulmans si faciles à domestiquer. À l’instar des massacres tatars, ce fut une période d’abaissement et d’ignominie où « Allah retira la peur des cœurs de l’ennemi et plaça la faiblesse dans les cœurs des musulmans. »
Le Prophète (‘Aleyhi al-Salâm) avait prédit que les musulmans allaient être nombreux, mais qu’ils seraient à l’image de l’écume des flots qui, vide de courage, se fait porter par les vagues.
Sheikh Nâsir al-Din al-Albany explique que cette faiblesse, qui se traduit par un amour disproportionné pour cette vie basse et une répulsion pour la mort, a poussé les musulmans à se soumettre à l’état d’humiliation dans lequel ils se trouvent et à l’endurer avec résignation. Le Muhaddith clarifie que cette faiblesse a engendré un abandon du Jihad [16] sous toutes ses formes [17] et que la plupart des musulmans sont aujourd’hui éprouvés par cette faiblesse [18].
Voici pourquoi, en décembre 1917, le général Edmund Allenby et ses officiers ont pu entrer Jérusalem, troisième lieu saint de l’Islam, à pied. À l’exception de quelques attaques armées en 1920 contre des colons sionistes à Jérusalem et dans le nord de la Palestine [19], un Jihad structuré et efficace n’a jamais vu le jour. De manière générale, le monde musulman fut paralysé par cette faiblesse doctrinale qui, comme l’expliquent certains érudits, a poussé de nombreux musulmans à échanger leur religion pour satisfaire l’ennemi déclaré ou encore pour obtenir des plaisirs éphémères de la vie-basse [20].
À partir de 1925, les Palestiniens créent des partis politiques pour obtenir une représentation nationale et ainsi rejeter le mandat et la colonisation sioniste. Mais en vain. En 1920, les Anglais assistent les sionistes dans l’établissement d’un gouvernement juif, la « Jewish Agency », qui décrète des lois pour faciliter l’acquisition de terres par les sionistes. Les Palestiniens se disent prêts à adopter les constitutions occidentales, mais doivent faire face à une solide alliance judéo-chrétienne. « Ô les croyants ! Ne prenez pas pour alliés les Juifs et les chrétiens ; ils sont alliés les uns des autres. » (al-Maida 51)
Une des lois décrétées par la « Jewish Agency » stipulait que chaque Palestinien qui ne cultivait pas sa terre durant plus de 3 ans devrait la céder au peuple juif. En 1929, les sionistes avaient déjà saisi plus de 1000 des 27000 kilomètres carrés du territoire palestinien [21].
Plus les Palestiniens se plient aux valeurs occidentales, plus ils se font abuser, humilier et voler leurs terres. L’histoire palestinienne est un exemple type qui prouve que la participation des musulmans aux systèmes politiques occidentaux ne servira jamais leurs intérêts et ne leur apportera aucune solution durable.
A suivre…
Extrait de “Palestine… Une Histoire Méconnue”, à télécharger ici
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[1] Voir la première partie de « Prophétie d’une Conquête de la Palestine »
[2] Journal of Palestine Studies, Vol. 1, n° 4 (1974), p.36
[3] En 1920, les Anglais reprennent l’administration de la Palestine des Ottomans, mais sans obtenir de mandat.
[4] Islamiquement parlant, la Ligue des Nations n’est nullement reconnue du fait qu’il s’agit d’une institution qui oppose et combat les lois et valeurs musulmanes. C’est également le cas pour le mandat britannique et les lois internationales de l’ONU qui constituent également une série d’escroqueries internationales par lesquelles se sont fait duper les musulmans.
[5] Hadith rapporté, entre autres, par Abu Dâwud dans son « Sunan » (no 4297), Ibn Asâkir dans « Târîgh Dimachq » (2/97) et rendu authentique par Sheikh al-Albany dans « Sahîh Abi Dâwud » (3/25) et « Silsilat al-Ahâdith al- Sahîha » (no 958)
[6] ‘Abdel Muhsin al-Abbâd « Sharh Sunan Abi Dâwud » (no 4297)
[7] Mohammed Shams al-Haq al-‘Athim Abâdi Abu al-Tayyib « Awn al-Ma’bûd Sharh Sunan Abi Dâwud » 11/272
[8] C’est surtout dû au délaissement de l’apprentissage de la croyance islamique (‘Aqida) que les musulmans se trouvent dans leur situation actuelle. La ‘Aqida est l’arme la plus forte des musulmans et constitue leur défense principale contre tout ennemi.
[9] Sheikh Abul Wafâ Ibn ‘Aqil, « al-Dorar al-Saniyya », Vol.8, p.299
[10] À cette époque ces ennemis étaient les nations colonisatrices et la Ligue des Nations. Aujourd’hui ce sont les nations impérialistes occidentales, l’ONU, l’OTAN etc.
[11] Le premier journal anti sioniste (al-Karmal) apparait à Haïfa en 1908.
[12] Le 2e sultan de la dynastie ottomane Orhan (1326-1359) fut déjà un fervent pratiquant du bektashisme, une secte polythéiste où sont adorés les « saints » et qui se présente comme un ordre ésotérique (batinite) qui mélange la doctrine du Wahdatul-wujûd à celle du chiisme. La secte est aujourd’hui connue pour sa « Samā », une cérémonie polythéiste classée au patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’organisation internationale de la promotion du polythéisme UNESCO. Le bektashisme, toujours selon l’UNESCO, fait preuve de « modernité précoce ».
[13] Le 7e sultan Mehmed II Fatih (1451-1481) fut le premier à jeter les fondations du droit civil et à abolir les ‘hudûd’. Le dixième sultan Sulaymân Ier (1520-1566) fut le premier à imposer les lois européennes aux musulmans et à les appliquer dans les tribunaux, raison pour laquelle il fut nommé Sulaymân le Magnifique en Occident et le Législateur (al‐Qânouni) en Orient.
[14] « Watha’iq al Muqâwamah al Filistiniya al-‘Arabiya », Beiroet, 1968, p.3.
[15] Ҫ.-a-d. « devenir puissant par l’obéissance à Allah » comme l’a expliqué Qatâda (Tafsir Ibn Kathîr Vol.6, p.7)
[16] En 1918, un peu avant la capitulation de l’armée turque, le dernier sultan ottoman Mehmed VI (1861 – 1926) refuse de résister et abandonne le Jihad. Il se soumet au jeu des forces coloniales afin d’obtenir des conditions de paix clémentes. Après la prise de pouvoir par le laïcard Kemal Atatürk, Mehmed VI fuit le pays en 1922 à bord d’un cuirassé britannique pour se réfugier à Malte. Cet événement marque la fin officielle de l’Empire ottoman.
[17] Le Jihad peut se mener par la personne, l’argent, la parole etc.
[18] « Majalla al-Tamaddun al-Islâmiy » (n° 4, p.426)
[19] Lucas Catherine, « Palestine: dernière colonie? »
[20] Mohammed Shams al-Haq al-‘Athim Abâdi Abu al-Tayyib « Awn al-Ma’bûd Sharh Sunan Abi Dâwud » 11/272
[21] Lucas Catherine, « De Israël Lobby »
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